Le Poisson

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Pourriez-vous me décrire votre parcours ?

C'est difficile d'en parler car c'est encore tout frais : il y a un an, j'étais encore étudiant. Ceci étant, certains aspects de mon parcours commencent déjà à se dessiner. Par exemple, j'ai souvent eu du mal à tenir en place dans mes études. Aujourd'hui, je me rends compte que c'est pareil dans le travail. Le seul cursus que je suis parvenu à mener jusqu'au bout, ce sont mes études à l'école Estienne, en cinéma d'animation. C'est d'ailleurs, à tort, souvent à cela que je résume mon parcours quand il s'agit d'en parler à des professionnels. Pourtant, j'ai accumulé plusieurs années " blanches " d'un point de vue administratif : une année aux beaux-arts, une formation de bande-dessinée au lycée Renoir et même une année universitaire en cinéma ! C'est amusant, car depuis que je vis et travaille à Amsterdam, je me désigne plus volontiers par ces années de recherches que par mon trajet dans la prestigieuse école Estienne. À Paris, ça importait. À l'étranger, ça ne signifie pas grand chose. Ce n'est pas plus mal !

Qu'y-a-t-il dans la tête de l'illustrateur Le Poisson ?

Ça c'est épineux ! Contrairement à ce qu'induit la question : pas de schizophrénie ! Le Poisson, ce n'est pas comme Moébius et Jean Giraud. Je ne discute pas en moi-même et je ne sépare pas ma vie courante de celui que je suis quand je dessine. Donc Le Poisson, ce n'est qu'une signature pour rendre anonyme mon travail. Je trouve qu'un dessin est plus intéressant quand il est anonyme. J'aime bien que le dessin en lui-même, la forme, soit le seul support de jugement. Signé, il devient une référence, il devient mondain et les mondanités nivellent, construisent des cercles, donc des frontières. À moins de vivre reclus dans une grotte, c'est une dérive obligatoire, certes, mais ce n'est pas ça qui doit conditionner l'envie de dessiner... Ou de regarder !

Que représente le dessin pour vous ?

C'est un outil très pratique. Je m'en sers comme certains se serviraient d'un appareil photo : pour me souvenir. À cette différence près que le dessin ne se pratique pas en mode automatique, il demande un effort d'attention considérable. Chaque dessin commence par la même question : comment faire ? La réponse, c'est : d'abord, observer. Cette gymnastique forge la précision du regard. On étudie chaque fois les propriétés des objets que l'on dessine, d'où l'étude de l'anatomie, des architectures, des attitudes... Bref, la jouissance du dessin, c'est de s'offrir un moment de concentration en prise directe avec le réel ! Dessiner d'imagination, ce n'est pas pareil mais on mobilise des souvenirs. C'est aussi un bon moyen d'estimer à quel point on est (ou non) attentif à notre environnement dans la vie de tous les jours. Mais, je pourrais vous trouver mille bonnes raisons de dessiner, je ne comprends pas pourquoi si peu de gens le pratiquent. Ce n'est pas une affaire d'ambition professionnel, c'est au contraire quelque chose de très personnel.

Vous semblez être un amoureux du papier, que pensez-vous de la Création Assistée par Ordinateur ? 

Vous aurez peut-être du mal à le croire mais mon seul diplôme d'art est un diplôme d'animation 3D. Autant vous dire que j'ai passé deux ans de mes études les yeux rivés sur un écran, à déplacer des points, à texturer des polygones, à installer des plugins, etc. Je voulais explorer ce monde numérique car je voulais élargir le champ des possibles. La 3D, ce n'était pas fait pour moi, mais son apprentissage était un apport considérable. Aujourd'hui encore, j'utilise l'ordinateur tous les jours. C'est sûr, je préfère m'asseoir dans un lieu passant et croquer les gens de passage, mais l'ordinateur est devenu un outil incontournable. Le problème essentiel qui fait que je me dirige naturellement vers le papier, c'est que malgré mon utilisation constante des logiciels, je ne parviens pas à voir en l'ordinateur autre chose qu'un merveilleux outil d'automatisation. J'apprécie et j'admire le travail des plasticiens qui parviennent à transformer cet outil en médium d'art, à questionner ce nouvel horizon qu'est le numérique, celui-ci pose d'innombrables questions, toutes plus intéressantes et plus fascinantes les unes que les autres. Je m'y intéresse et y réfléchis, mais ça s'arrête là. Je suis un amoureux du signal analogique et des choses terrestres, le numérique, ça me dépasse et c'est ce qui me grise dans le travail de ceux qui savent en parler ou l'utiliser.

Comment faites-vous connaître vos réalisations aux autres ?

Alors, pour le montrer, j'ai un blog mais pour le faire connaître, là c'est de votre part que j'aurais besoin de conseils ! Plus sérieusement, se faire connaître demande un grand talent de communicateur et, comme beaucoup de compères artistes, je suis très mauvais dans ce domaine ! Je diffuse avant tout mon travail pour mes amis sur mon compte Facebook. Ensuite, j'essaye de montrer mon travail à des professionnels quand j'en rencontre. J'utilise le mail aussi, on est moins timide par mail. Et on est jamais à l'abri de bonnes surprises. Je me suis pris des vents par des dizaines et des dizaines de revues ! Mais bon, j'ai des fois eu des réponses encourageantes de gens que l'on imagine mal derrière d'absurdes adresses mail, des gens comme Cabu, Charb ou Pedrosa ! Qui ne tente rien n'a rien, et on risque bien peu en envoyant un ridicule petit email. Riad Satouf dit que 100 % de refus ça n'existe pas et il a carrément raison ! Alors faut se lancer encore et encore. Pour les dessinateurs, la chance tourne d'un coup : hier, vous étiez le cœur moribond dans un rayon du Carrefour Market après une série de mails muette, le lendemain vous avez le directeur d'un journal que vous vénérez au téléphone ! Faut tenter sa chance. Ou forcer la chance, disons. Le plus dur c'est de trouver la porte d'entrée. Une fois que c'est fait, il faut travailler dur pour être à la hauteur et sortir de chez soi pour continuer de faire tourner la machine. Donc c'est bien d'envoyer des mails, mais sortir de chez soi et travailler avec des gens, c'est encore mieux ! 

Est-il difficile de gagner sa vie en tant que dessinateur ?

De là à en vivre, c'est une toute autre affaire. Ça fait deux ans que j'arrive à me faire payer pour mes travaux. La première année, j'étais à la fac et des amis pour qui je travaillais s'arrangeaient pour faire sortir un peu de budget pour mes dessins. La seconde année, cette année, j'ai pris un travail pour payer mes factures et je travaillais le soir... Autrement dit la nuit, sur les projets qu'on me confiait. Plus le temps passe et plus les gens me rappellent donc c'est bon signe, mais ça ne ressemblera jamais à un travail normal et trouver un job à mi-temps reste quand même un compromis acceptable pour ne pas être " dans la dèche " et pouvoir se positionner en toute sécurité sur des projets qui nous plaisent. Le problème, c'est que votre vie est sciée en deux. Mais bon, mieux vaut ça que d'être sur la paille car trouver un travail, même un travail dont personne ne veut, ça consomme du temps et de l'énergie, et c'est autant de temps et d'énergie que vous n'utilisez pas dans l'exercice de votre passion ! Il ne s'agit donc pas de jouir d'une liberté sans limites dans laquelle le dessin peut s'épanouir sans contraintes, mais plutôt d'accepter de menues contraintes que votre quotidien imprime à votre travail et ainsi creuser en profondeur cet espace exigu de liberté. Pour le moment, c'est comme ça que ça fonctionne pour moi !

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