Paul Prestreau - Photographe

Découvrez son site ici

Parlez-nous un peu de vous...

 

Mon goût pour l’image a commencé très jeune à travers le cinéma. Je suis fasciné par les réalisateurs, leurs choix artistiques, une faculté à positionner leur caméra à un endroit précis et pas un autre, à travailler une lumière de la meilleure façon afin de donner le plus de force possible à une scène. J’ai par exemple été subjugué par Les mystères de Lisbonne de Raoul Ruiz, la lumière de Spike Jones dans Her, le cinéma asiatique en général : Kim Ki Duk, Wong Kar Waï et plus particulièrement  Takeshi Kitano, dont je suis un fan absolu.

 

Mon intérêt pour la photo s’est donc fait très naturellement et a commencé, en 2001, lors d’un voyage au Vietnam lorsque ma mère me donna l’appareil que mon père lui avait offert en me disant " Tiens, prends le, on ne sait jamais ", elle a bien fait ! Un ancien Yashica, avec lequel j’avais photographié mes grands-parents pour ma première pellicule, quelques semaines auparavant. Voilà donc comment j’ai brulé ma première (et seule !) pellicule dans les rues de Saïgon, en ouvrant le boitier alors que je ne savais même pas comment la rembobiner. Aujourd’hui encore, je rembobine deux fois chaque pellicule, au cas où, marqué par mon premier essai perdu.

 

À partir de ce moment, la photographie a pris une place de plus en plus importante, mais toujours dans une démarche autodidacte. Sans aucun but réel au départ, je voulais juste déclencher, cela me procurait une sensation agréable, celle d’un observateur invisible, mettre en image une façon de penser ou de voir qu’on a du mal à expliquer avec des mots. Puis avec le temps, j’ai commencé à m’apercevoir d’une certaine récurrence dans les sujets ou la façon de les traiter, donc j’ai structuré mon travail et y ai donné une direction, en commençant à travailler par thèmes et séries d’images. 

 

Il y a 8 ans, nous avons décidé avec trois amis d’enfance de monter un collectif de photographes appelé Petite Expo Entre Amis avec lequel nous présentons chaque année nos différents travaux personnels le temps d’un week-end. Surpris par le succès de la première édition, nous avons donc poursuivi l’aventure chaque année, la dernière a eu lieu dans la très belle Galerie W d’Eric Landau, à Paris, et nous sommes en train de discuter de la prochaine : la PEEA 7.

 

J’ai également monté une société, fin 2014, mêlant mes deux passions, la photo et le vin, au sein d’un même lieu, la Galerie Épicture. J’organise donc des expositions avec d’autres photographes (et parfois une partie de mon travail quand le thème s’y prête) que je connais ou rencontre, ainsi que des dégustations de vignerons travaillant en biodynamie, l’occasion de faire découvrir des artistes du vin ainsi que ceux de la photo au sein d’un lieu atypique, et j’espère agréable, car il y a selon moi beaucoup de points communs et parallèles entre ces deux domaines.  

Parlons plus en détail de votre travail artistique, pourriez-vous nous présenter votre série Enfants de manif' ?

 

Cette série s’est imposée, comme toutes les autres que j’ai réalisées jusqu'à présent, toute seule. Cela se passe très souvent de la même façon, une photo vient se glisser au milieu d’un thème différent de celui sur lequel je travaille et elle devient, plus tard, le point de départ du prochain projet sans que je le sache au moment où je l’ai prise. Cependant, je me suis aperçu avec le recul que tous les thèmes, aussi différents soient-ils, sur lesquels j’ai travaillé avait un seul et unique point commun, ils prennent racines dans mon histoire personnelle, dans mon vécu. Et finalement, je crois que notre but principal est de dire à travers nos photos, des choses que l’on n’arrive pas à exprimer autrement. 

 

C’est après les avoir photographié que j’ai compris pourquoi je l’avais fait, car pour être honnête le thème des enfants en tant que tel ne m’intéresse pas vraiment, pas plus que celui des manifestations d’ailleurs. Mais le croisement des deux devenait soudain beaucoup plus riche. Certaines deviennent des thèmes quand je sens qu’elles raisonnent plus fort que d’autres, me touchent plus. 

 

Dans le cas de cette série des Enfants de manif', je me suis en effet souvent interrogé sur la présence des enfants lors de manifestations. J’ai toujours eu l’impression qu’ils n’avaient rien à faire là, qu’ils étaient embarqués, sans qu’on leur demande leur avis, dans un combat qui n’était pas le leur et c’est en cela que je me suis identifié, en fait j’étais comme eux, embarqué quelques mois même avant  ma naissance dans un combat qui n’aurait pas dû être le mien, mais la vie est ainsi faite.

 

 

Que tentez-vous d'exprimer à travers vos photographies ?

 

La photographie représente, pour moi, la capacité de raconter une histoire en un seul cliché et qui plus est à travers tout un travail thématique. Il se dégage une sensation étrange dans ce processus, une impression de courir après quelque chose. Je photographie, tends vers un but celui faire comprendre le mieux possible par mes clichés pourquoi je choisis tel ou tel thème. Il y a celles qu’on aime plus que d’autres (qui ne correspondent d’ailleurs souvent pas aux préférences de ceux qui les regardent ou les achètent), et il y en a aussi toujours une qui se détache du lot… C’est CELLE-LÀ ! Celle qui nous touche le plus, celle qu’on aime le plus, celle qui colle au plus près de ce qu’on voulait exprimer, elle fait partie de nous, puis on attaque un nouveau thème et le processus recommence.

 

Je crois que l’intérêt de la photographie est de rendre visible l’indicible, ce que l’on a au fond de nous, ce qui nous tourmente depuis longtemps, une sorte de thérapie. J’ai un jour entendu Luccini en interview disant, " Tous les comédiens sont de grands névrosés et on essaye de guérir par notre métier ", je crois que ça s’applique aussi à de nombreux photographes et artistes en général. On ne fait pas de photos " par hasard ", on ne choisit pas nos thèmes " par hasard ", tout cela s’explique par des choses enfouies ou refoulées qui deviennent les guides invisibles de nos moyens d’expressions. Conscient de cet état de fait, je me laisse guider par mon émotion, je ne prends pas de photos, je me laisse prendre par elles. 

 

D’un seul coup, l’œil et le cœur sont saisis par une scène, un personnage, un lieu et je n’ai pas le choix, il faut le figer et le transposer sur papier, un besoin irrépressible de montrer aux autres la " beauté " de ce que l’on a vu mais qu’eux ont peut-être raté ou vu différemment. Voilà ce que je tente de faire à travers mon travail, essayer de transmettre à la personne qui regarde une photo l’exacte émotion qui a été la mienne en la prenant. Un objectif qui peut être extrêmement frustrant quand il n’est pas atteint, mais lorsque cela arrive, je sais pourquoi je fais des photos et cela me donne l’envie et l’énergie de continuer.

 

Je rajoute aussi à cela une discipline naturelle et personnelle de ne jamais recadrer mes photos, si elle mérite un recadrage c’est que j’ai raté ma prise de vue donc je ne la tire pas. La plus-value et l’outil principal du photographe est son œil, sa capacité à découper un espace ou une scène afin d’exprimer exactement ce qu’il veut et a vu, " le secret, c’est la géométrie " disait Cartier-Bresson. J’aime cette exigence et je l’applique sur tout mon travail personnel fait en argentique, d’où la présence d’un liseré noir autour de toutes mes photos qui est fait une partie du négatif. 

Comment décririez-vous votre série De la terre dans les veines 

 

Cette série est un travail qui m’avait été commandé par mon ami, le chef cuisinier Christian Etchebest. Il désirait pour son nouveau restaurant (la cantine du troquet à Paris) des photos de mains de paysans portant les stigmates du labeur de la terre, que ses clients comprennent que s’il avait du succès dans son métier, ainsi qu’une visibilité médiatique, c’est aussi à eux qu’il le devait en grande partie. Il a en commun avec ces paysans magnifiques,  un amour pour leur travail et les produits de la terre qu’ils cultivent. 

Lorsqu’il m’a proposé ce projet en me demandant si j’avais déjà fait ce genre de choses, j’ai  immédiatement accepté alors que c’est un thème auquel je ne m’étais jamais intéressé, j’étais effrayé par " l’enjeu " et l’obligation de résultat mais j’avais déjà une petite idée. Je suis tout naturellement retourné à mes origines paysannes, dans le limousin. J’ai commencé par ma grand-mère, une femme sublime de 93 ans ayant travaillé la terre toute sa vie, et lors de notre première séance tous les deux (celle ou elle mime une offrande avec ses mains devant la porte de sa vieille grange) j’ai eu un déclic, je sentais que j’en étais capable, que ça allait donner quelque chose, et en plus j’y prenais énormément de plaisir. Contrairement au numérique, on ne peut découvrir le résultat de notre travail, au minimum plusieurs jours après, au moment du développement dans la chambre noire du tireur, mais il se passe quelque chose de magique parfois lorsqu’on appuie sur le déclencheur. Une sorte de mélange entre adrénaline et émotion ou l’on sait qu’on vient de faire LA bonne photo et c’est, je pense, l’enseignement principal de l’argentique : apprendre à ne pas appuyer, attendre, patienter, ressentir la photo avant de la faire et quand soudainement tout se met en place….CLIC ! Il n’y a pour moi pas plus belle ni plus juste définition  que celle de Cartier Bresson " mettre sur la même ligne, l’œil, l’esprit et le cœur ". Si on arrive a avoir sur un seul cliché un équilibre " parfait " également reparti entre une idée, une esthétique et une émotion alors…

J’y suis ensuite revenu à plusieurs reprises, en allant rendre visite à d’autres anciens en compagnie de mon oncle qui connaît tout le monde dans la région. Ce fut un voyage incroyable, j’ai rencontre des gens exceptionnels, dont les mains mais aussi le corps sont brisés par des décennies de labeur et pourtant ils ne regrettent rien, ne s’en plaignent jamais, plus que cela, ils sont heureux d’avoir eu la chance d’être au contact de la terre et de la nature chaque jour de leur vie. Ils ne considèrent d’ailleurs pas vraiment avoir travaillé mais plutôt avoir accompli leur devoir envers la planète. Un message qui me paraît on ne peut plus d’actualité. Je me rappelle avoir rencontre le fils de l’un d’eux (Maurice, le plus physiquement marqué d’entre tous) ayant repris l’activité familiale, m’expliquant que la nouvelle génération de paysans serait incapable de faire ce que son père avait accompli, tant les conditions de l’époque étaient beaucoup plus difficiles et la " technologie ", rudimentaire, pendant ce temps Maurice me regardait en souriant, le dos complètement vouté et les mains tellement abimées. 

Voilà peut-être le défi de notre génération et de toutes celles qui viennent, ne plus voir la terre et ce qu’elle nous apporte uniquement comme un dû mais prendre également conscience des devoirs que l’on a envers elle. 


AUTRES ARTICLES À DÉCOUVRIR

AUTRES ARTICLES

Lisez l'entretien de Benoît et Vincent - Fondateurs de Shoco
Lisez l'entretien de Benoît et Vincent - Fondateurs de Shoco
Regardez le portfolio de Xavier Blondeau - Photographe
Regardez le portfolio de Xavier Blondeau - Photographe
Découvrez le portfolio de Francis Malapris - Photographe
Découvrez le portfolio de Francis Malapris - Photographe
Découvrez le court métrage de Pierre Leblanc
Découvrez le court métrage de Pierre Leblanc

Lisez les lettres de voyage de Charlotte en Asie
Lisez les lettres de voyage de Charlotte en Asie
Consultez le portfolio de LaureMjoy - Illustratrice
Consultez le portfolio de LaureMjoy - Illustratrice
Lisez l'entretien d'Antoine Desrosières - Réalisateur
Lisez l'entretien d'Antoine Desrosières - Réalisateur
Regardez le portfolio de J. Pennards-Sycz - Peintre
Regardez le portfolio de J. Pennards-Sycz - Peintre