Antoine Desrosières - Réalisateur

Regardez Haramiste ici

Pourriez-vous nous présenter Haramiste ?

 

Haramiste raconte l'histoire de deux soeurs musulmanes voilées, basket-doudoune, au langage cru, qui se chamaillent et se font la morale au sujet des garçons. Leurs principales interrogations concernent le désir et la sexualité car après tout, “ si c'était pas bien, on en parlerait pas ”, comme le dit l'une des soeurs. Puisque la sexualité fait du bien, elles interrogent les interdits, dans la pratique, sans pour autant les remettre en cause dans la théorie. Il y a celles qui acceptent les interdits, il y a celles qui se révoltent contre allant jusqu’à rompre avec leurs cultures et religions, et il y a les autres, celles qui n’ont pas une démarche révolutionnaire, qui se débrouillent. C’est de celles là dont il s’agit.

 


Pourquoi avez-vous choisi de créer un décalage entre la pureté qu'induit la religion et le langage qu'elles utilisent ?

 

Je voulais refléter la vie, marquer le décalage entre l'intimité et les apparences. Je voulais m'attacher à ce qui se passe quand il n'y a plus de retenue, quand les portes sont fermées et que les individus sont libres d'agir et de penser comme ils veulent sans avoir à agir d'une certaine façon au regard de la société. Je voulais également montrer comment la guéguerre entre deux sœurs pour être la dominante les amènent l’une et l’autre avec la plus grande mauvaise foi à adopter un point de vue et son inverse à quelques minutes d’intervalle et comment cela libère la parole d’une manière marrante. D'ailleurs, même si ce film parle de sexualité et interroge les tabous, il est avant tout une histoire d'amour entre deux soeurs, plus que sur l'amour avec les garçons qui ne sont pour elles que des fantasmes, des sex toys. Assumer une relation amoureuse pour elles serait beaucoup plus difficile car il faudrait l’inscrire dans le temps et donc qu’elle corresponde à une norme culturelle. Entreprendre une relation secrète et sexuelle, en dehors de leur cercle familiale et social, est bien plus aisé, car elles n'ont pas besoin de se soucier du qu'en-dira-t-on.

S'agit-il d'un film improvisé ?

 

Avec Haramiste, je voulais créer l'illusion de l'improvisation, c’est à dire de la vie filmée en direct, mais il n'y a pas eu d'improvisation pendant le tournage. C'est durant les séances de répétition que l'improvisation a eu lieu. Les actrices, Ines Chanti et Souad Arsane, ont, de cette manière, développé leurs idées, ont pris la parole, se sont réappropriées le film et sont donc devenues co-scenaristes. C’est n’est pas mon film, c’est notre film. Je savais dès le début que je voulais trouver des jeunes femmes avec qui je pourrais faire ce travail là, des grandes gueules, des filles capables de nourrir des improvisations en répétition sur les sujets proposés, pour qui parler de sexe ne serait pas un problème, des filles qui associent la sexualité à une chose joyeuse et épanouissante. Et puis, comme c'est une comédie, je voulais aussi des jeunes femmes drôles.


 

Comment avez-vous mené à bout ce projet ?

 

Tout d'abord, vous devez savoir que je refuse de faire des films sans financement, car je tiens à payer mon équipe. Ce projet a donc pris 5 ans. Malgré le refus de plusieurs chaînes tv et aides d’état, la région Poitou-Charentes a accepté notre projet et le tournage a pu avoir lieu. Tout le monde a été payé dans le respect du droit du travail.

La réaction positive du public sur  le film a incité à le distribuer en salle comme si c’était un long métrage. En effet, la productrice a distribué le film elle-même, a trouve des salles de cinéma, engagé un attaché de presse, Arte a finalement acheté le film fini. Et cette recette a servi aussi au lancement du film. Haramiste a reçu des critiques dithyrambiques, et le prix du public au Festival Côté Court de Pantin, ce qui a vraiment aidé.

 


Quel conseil donneriez-vous à un jeune réalisateur ?

 

L'important est de faire un film très singulier, qui résonne avec le public, dont le public a besoin, même sans le savoir, un film qui ne ressemble à aucun autre. Depuis mes débuts, l’avènement du numérique a démocratisé la fabrication des films en la rendant presque gratuite, de plus en plus de gens font des films. Mais comment faire pour que ces films existent dans l’imaginaire du public, restent, fassent exister des cinéastes, avec des langues nouvelles, des points de vue nouveaux, un dialogue avec un public. Pour cela je crois qu’il faut assumer des propositions radicales, éviter l’eau tiède, les points de vue convenus, mais vraiment, pas un peu. Il faut être singulier dans la forme, le fond, le style.

Haramiste, par exemple, prend parti pour la singularité du minimalisme. C'est une loupe sur deux personnages afin de les montrer comme jamais on les voit. Mon film regarde le plus simplement du monde ces deux jeunes femmes et fait rire avec un style de comédie non policé, comme les comédies le sont souvent, soumis consciemment ou inconsciemment à la pression des systèmes de financements qui ont peur de tout ce qui dépasse. L’autocensure est intériorisée dans l’éducation même et fait des ravages.

Cet aspect non policé donne-t-il à Haramiste une dimension politique ?

 

Inas Chanti aime à dire que le film interroge : pourquoi des filles ne pourraient-elles pas penser à ce que des garçons s’autorisent à faire ? En posant cette question dans le film, j'aborde peut-être des questions politiques... Si j'ai choisi de mettre en scène des jeunes femmes voilées, c'est surtout pour leur faire parler d'autre chose que de leur voile, montrer qu'elles existent autrement que par leur voile. Elles sont des êtres humains avec des désirs. Mais vous savez, à travers ces jeunes femmes voilées, je n'aborde pas seulement la religion musulmane, mais toutes les religions. Du point de vue de la sexualité, elles ont toutes les mêmes interdits. Toutefois, il y avait déjà de nombreux films concernant les autres religions alors que la question de la liberté sexuelle dans la religion musulmane commence tout juste à être abordée. J’aime quand on me dit que Haramiste est un film féministe, qui pose comme un horizon plus d’égalité et de liberté à partir d’une histoire de fraternité (ou sororité).

 


Est-ce que vous aimez vos films ?

 

Pas tous. Parfois, mes raisons de faire le film n'étaient pas suffisantes, même si sur le moment j’en étais convaincu.

J'aime Haramiste car il me  fait vivre une belle période de ma vie,  il me permet de rencontrer beaucoup de gens  et d'avoir une conversation avec eux. Grâce à la sortie de ce film, j'ai l'impression de faire mon métier, vraiment.  Je n'ai pas eu cette sensation depuis 15 ans, la dernière sortie en salle d’un de mes films date de 2000. Je n'ai pas pu apporter tous mes films au public. Beaucoup de gens  regardent et se réapproprient Haramiste,  des gens différents,  qui sont d'accord pour  l'aimer, mais pas d'accord sur les raisons  pour lesquelles ils l'aiment. Ces rencontres multiples sont une drogue dure. Je ne sais pas si je ferai encore un film qui plaît autant. Je ne m’attendais pas à ce que celui-là finalement soit si consensuel.


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